Pour que le temps ne vienne accélérer les aiguilles de mort, j’ai pris le bonheur de voler Jusqu’aux confins d’Afrique à l’Est des grands déserts Au Sud du fleuve Râ A l’envol des flamands Roses de terre sage Où montent les troupeaux vers le lac frontalier.
J’ai pris le bonheur de rouler Piste après piste De terre noire en cailloux de lave acérée Dérivant de requins mauves en fumerolles grises De sel albâtre en craquements de cristal D’enfant de roi en prince des chèvres De pauvre dévoyé en richissime cœur Que l’eau des mangroves perdues élève au rang de poète des sables.
J’ai pris comme leçon d’humanité La grande déshérence, l’orgueil de n’être né Que d’un acacia plat, tendu d’ombre épineuse, Plombé d’un soleil blanc, enraciné de mort Et pourtant vert de vie.
J’ai bu des yeux baissés J’ai lu des yeux fierté Des yeux de pas-perdus aussi Surtout des yeux de Plus rien à attendre De plus rien à savoir que le rêve mâché en verte salivure Et qui rend l’espoir vain.
Hier, J’ai su qu’il n’y a pas de raison de croire en l’homme bon des Dieux de convenance mais je sais à présent Qu’à l’envers de nos vies existent d’autres vies que la mort ne sait pas.
Je sais à présent Que la terre n’est pas nourricière pour tous Que l’animal n’est pas un passe-temps de plus Que ma main ne sait pas donner. Je sais à présent Que le présent Dans l’infini désert de sel et lave, Danse, flottant par-dessus l’horizon, Mirage flou, absence, Et n’est peut-être que cela : un mirage qui danse.
Parfois la terre craque et lâche des tunnels de feu emprisonné Parfois la terre s’ouvre Et montent des profondeurs de somptueuses cathédrales dentelées Qui se posent au désert et dessinent, De place en place, L’imaginaire de Gaudis, »Sagrada Familia » multiple Que le soleil naissant arrose d’ocre et noir.
L’enfant qui court en ces lieux ne joue pas. Il garde le troupeau des chèvres de la vie, le descend au matin vers la rive du lac, sur les longs abreuvoirs où l’eau chaude tiédit, au bord de l’herbe rêche et rare des pâtures, Le remonte au soir tombant, Lentement, Vers un enclos de pierres plates, à l’abri des derniers prédateurs. L’enfant qui court en ces lieux ne sait pas Que tu croques du sel en bégayant de peur à tes pauvres envies De guetteur d’avenir.
Lui, descend son troupeau petit soleil naissant Et monte son troupeau petit soleil couchant. Parfois tu lui donnes de l’eau ! En t’excusant de n’être qu’un passage.
De la multitude des couleurs de l’eau Monte le sel imputrescible Cristal de la roche de vie que Les improbables caravanes repues d’imposants dromadaires Colportent de reg en erg Jusqu’aux confins de l’Ethiopie. Elles sont guidées dans leur avancée sage Par de grands êtres secs, tendus, raides du même sel que portent leurs troupeaux, pendus à leur bâton qui n’est pas une canne où poser leur fatigue mais redresseur de corps aux épaules étroites. Ils n’ont pour seul bagage qu’une gourde de peau pleine de lait jaunâtre. Mirage encore !
Et pendant ce temps là La banquise grandit, épaissit ses strates cristallines, Gonfle de canaux lourds les eaux du lac Assal Qui brille souverain sous l’aile de l’avion. Juste au dessus la lave est noire. Elle casse de grands aplats granuleux Qui basculent, s’entrechoquent, s’entremêlent, se désagrègent en formes animales grotesques jusqu’à la cendre grossière de la piste. Une graine a germé là Poussant un arbrisseau vert d’eau Vêtu de fleurs citron, Unique, Sorte de genêt celte impudique en ce lieu D’où les dieux sont bannis tant l’enfer est présent Dans chaque roche, dans chaque trou, Dans la rigueur sans nuances des plaques fissurées. Et l’enfer enfante, plus bas, Sous la ligne des eaux, Horizontale, La frange vierge de sel, tendue de bleu, de vert, de tâches ocres, d’ondulations émeraudes qui voguent jusqu’à l’oued séché, quelque herbe à chameaux mystérieuse de vie, le cratère dressé Et le ciel blanc de peau. Devoir mourir ici doit être passionnant Passionnant et loufoque ! Pas de pour quoi Pas de pour qui Ni d’hommes ni de Dieu Que le diable à deux pas Sous la croûte cassée.
République de Djibouti Décembre 2011
Superbe texte (bravo, André !)… qui me rappelle tant de souvenirs, ayant vécu deux ans sur place (et arpenté tous les lieux joliment évoqués ici) au moment où le Territoire français des Afars et des Issas entrait dans une nouvelle ère, pour devenir enfin la République de Djibouti. J’y suis retourné fin 2009, près de trente ans après en être parti et voici ce que j’en ai rapporté :
http://sicavouschante.over-blog.com/article-ballade-en-mer-rouge-41718161.html
Quant à la chanson française, le terrain avait été bien préparé à cette époque-là avec les venues successives de Leny Escudero, Graeme Allwright, Marc Ogeret… puis Claude Nougaro, Anne Sylvestre…
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